Série : Les traces du passé

Journée de battage

Pendant une cinquantaine d’années, jusqu’à l’arrivée de la moissonneuse-batteuse, la journée de battage constitue l’évènement le plus important de l’année dans les activités de chaque ferme.

1926 : 63 exploitants agricoles 

En 1926, la commune de Pompaire compte 578 habitants et 63 exploitants agricoles. La culture dominante est le blé, le froment et l’avoine, mais les terres labourables produisent également des pommes de terre, topinambours, betteraves et choux fourragers.

Pendant une cinquantaine d’années, jusqu’à l’arrivée de la moissonneuse-batteuse, la journée de battage constitue l’évènement le plus important de l’année dans les activités de chaque ferme.

Venez !

Alors venez passer la journée avec nous ! Venez partager le travail, le bruit, la poussière, le soleil, la chaleur, la sueur, la soif, les repas…. Et le bonheur des paysans à la fin de cette longue journée.

Note

Je remercie les fermiers et les fermières de Pompaire qui m’ont apporté leurs précieux témoignages et je vous invite à lire « La Batteuse », livre écrit par Charles Briand qui présente un excellent récit sur ce sujet.

Texte de Jean-Yves GALAIS (mai 1996)

Chacun avait son travail : les hommes nettoyaient l’aire de battage, la cour était même balayée. Ils rangeaient la grange et y installaient les tables sur tréteaux et les bancs ; les bauges de charrette servaient parfois de tables.

Mais la plus grosse tâche incombait aux femmes. Il fallait racommoder et laver 25 à 30 sacs et surtout préparer à manger aux hommes de la batterie. La veille, on tuait poules, canards, lapins…. Toute la famille s’y mettait, sœurs, belles-sœurs, cousines venaient en renfort. Les femmes avaient aussi un gros travail le jour du battage : les vaches devaient être « tirées » avant le lever du jour et il fallait aussi s’occuper des autres animaux (porcs, volailles…) comme un jour normal alors qu’il y avait tant à faire à la cuisine pour assurer les trois repas de la journée.

A Pompaire comme ailleurs, les battages, qui s’échelonnaient en général de fin juillet à début septembre, étaient organisés suivant une tournée. Les deux entrepreneurs de battage qui se partageaient la commune étaient Maurice Rouvreau de Parthenay et René Moreau de Beaulieu.

Les grosses fermes battaient la journée entière comme chez Louis Sabiron ou Louis Servant à la Grande Carimière.

Les fermes moins importantes battaient à deux voisins...

... les exemples ne manquent pas : Raymond Coutineau de la Sutière battait avec Fernand Emerit du Chêne ; Georges Moreau de la Pinolière avec René Parthenay de la Cendrinière, Albert Godard de la Bachardière avec Maurice Lusseau de l’Ormeau ; Marcel Loiseau de la Crânée avec Georges Gogui de l’Abeille ; Hubert Imbert de Sainte-Anne avec Robert Pastureau de la Grasse Vachère ; Alfred Robert de la Pommeraie avec Olivier Moreau de la Garlière ; Robert Pineau de la Petite Carimière avec Charles Gourbault de l’Albertière ; Migeon de Chaumusson avec Souchet de Surgère ; etc.….

Les fermes plus petites se groupaient à trois : l’une battait avant la soupe, l’autre dans la matinée et la troisième l’après-midi. C’était le cas de Fernand Mercier de la Châtaigneraie, Joseph Billon et Louis Charron de la Roche ou encore de Camille Garandeau du Petit Viette, Jean Paitrault de Pont Soutain, Michel Rochais et Guy Coutineau de la Guinauzière.

Ces tournées de battages sont données à titre d’exemples ...

... car elles changeaient avec les années. C’est l’entrepreneur qui évaluait la quantité à battre dans chaque ferme et organisait la journée. Si la machine venait de telle ferme, on commençait par le village qui se trouvait « sur le chemin ». L’année suivante, on changeait de « bout » : c’était une année l’un en premier, une année l’autre.

Chaque fermier demandait « ses hommes », le nombre dépendait de la quantité à battre. S’il avait besoin de 10 gars, il devait rendre 10 jours de battage… En tout, il ne fallait pas moins de 30 à 32 gars, un peu moins à partir des années 56 avec l’arrivée de la botteleuse qui diminue le nombre d’hommes au pailler.

En général, les hommes se répartissaient ainsi dans les 5 postes de travail : 8 sur la maille (le tas de gerbes), 5 sur la batteuse, 2 aux épiaux, 12 au pailler et 5 aux sacs.

La journée démarrait dès le lever du jour. Les mécaniciens payaient l’assurance à la journée, c’était dans leur intérêt de l’occuper au maximum. La machine était en place et « calée » la veille, il n’y avait plus qu’à présenter le tracteur, à tendre la grosse courroie et à faire tourner l’ensemble. Avant le tracteur et notamment pendant la guerre, on utilisait la locomobile qu’on chauffait au bois. Un homme supplémentaire se chargeait d’aller chercher l’eau avec une tonne ou des barriques pour alimenter le moteur.

Sur la maille :

Suivant la forme de la cour et de l’importance de la ferme, il y avait 2, 3 ou 4 mailles (ou tonnelles) rondes ou en long coiffées parfois d’une gerbe tenue par un piquet mise les épis en bas et qui faisait « parapluie ». Les gerbes avaient été rentrées pour que le battage se fasse dans l’ordre suivant : le midro (mélange de blé, d’orge, et d’avoine), l’avoine pure, le baillage (orge de printemps), le blé et le seigle qui était destiné à finir le pailler car il arrête mieux l’eau et fournit une meilleure couverture. A l’aide de leurs fourches, les démailleurs envoyaient les gerbes sur la batteuse. Il y avait une rotation sur la maille. Quand le niveau de la maille était au-dessous de la batteuse, le travail était plus pénible et il fallait plus d’hommes. Il était fréquent de trouver un nid de souris dans le cul de la maille, ce qui donnait l’occasion d’effrayer les filles qui se trouvaient à proximité ou de glisser la souris dans la poche d’un copain.

Sur la batteuse :

5 hommes se relayaient toutes les demi-heures sur la batteuse, pendant que 3 étaient au travail, 2 se reposaient. Ces hommes étaient l’approcheur de gerbes qui mettait les gerbes sur la tablette, le coupeur de liens qui coupait la ficelle avec une serpette et l’engreneur qui, debout dans un coffre pour la sécurité, alimentait en céréales la batteuse. Souvent l’engreneur était « de la maison » ou quelqu’un de la famille : c’était une place d’honneur. Le coupeur de liens récupérait la ficelle au niveau du nœud. Lorsque le battage était fini, il faisait une tresse qu’il offrait à la patronne ou à la fille de la maison, histoire de se faire embrasser et de se voir offrir un verre.

Aux épiaux :

Deux hommes, parmi les plus âgés, étaient aux épiaux, la meilleure place pour avaler de la poussière. Ils récupéraient à la sortie de la batteuse au moyen d’une rabale qu’ils tiraient sous le monte-pailles et d’une cabèche, grande et large fourche en bois, les brindilles de paille qu’ils remettaient dans le monte pailles. Parfois, ils rassemblaient les épiaux dans un balin, grand carré confectionné avec quatre sacs décousus. Il fallait ensuite charger le balin sur le dos et verser le contenu sur le tas de foin. Les épiaux étaient donnés en nourriture d’hiver aux bêtes qui le mangeaient avec des betteraves.

Le pailler :

Il pouvait employer selon la longueur jusqu’à 12 hommes parmi lesquels les 2 faisous de pailler. Avant de commencer le pailler, les hommes demandaient l’équerre au patron, c’est-à-dire un petit coup de gnole ! Puis le pailler commençait à prendre forme, chaque paillassou faisait son côté afin que le pailler monte de l’allure la plus belle possible. On confectionnait des trousses, couches de paille retournées, pour que les coins du pailler tiennent mieux. Lorsque le pailler montait, un paillassou restait en bas pour guider en frappant avec une gale, grande perche, pour que le bord soit bien droit.

Aux sacs :

On y retrouve souvent 5 hommes : le guettou de sacs qui surveille l’arrivée du grain et le remplissage des sacs et les porteurs qu’on appelle encore les « gourmands » ou plutôt les « assoiffés ». Parmi les porteurs, il y a le va-devant qui est souvent le plus âgé et un habitué de la maison. A chaque montée dans le grenier, il coche les tournées de sacs sur un morceau de bois et a la responsabilité du tas de grains.

Le dernier sac monté, il aplanit le tas, écrit en chiffres romains avec un manche à balai le nombre de sacs et fait même des dessins sur le tas. L’avantage du va-devant était de ne jamais « charger » : il était chargé par le deuxième qui était chargé par le troisième, lui-même chargé par le quatrième, ce dernier étant enfin chargé par le guettou. On pouvait charger au bois (le sac était placé sur un bois et monté sur le dos du receveur qui tenait la goule du sac et se tournait au fur et à mesure) ou charger à la balance.

Le matin en arrivant, vers 5 heures, les hommes prenaient le café et la goutte. Chacun puisait avec un verre le café dans un seau galvanisé à traire les vaches.

La soupe :

C’était le premier repas de la journée, aux environs de 7 heures – 7 heures et demie. Il y avait naturellement la soupe au pain arrosée de vin rouge (la godaille), puis du pâté, de la tête de veau (ou ventre ou pied de veau) à la vinaigrette avec de la purée ou la potée de choux et de lard, le fromage de chèvre fait maison, le café et la goutte.

La collation ...

... se prenait vers midi et demi et se composait le plus souvent de miget au pain, œufs vinaigrette, tomates, poisson en boîte, canard ou poulet avec des haricots demi-secs, fromage, tarte ou œufs au lait.

Si la batterie était longue, les femmes apportaient le miget ou la tarte au milieu de l’après-midi.

Dans la journée, les drôles (ou une personne âgée) portaient le panier de bouteilles aux différents postes de travail. Ils proposaient de l’eau avec de la menthe, du ratafia (eau-de-vie fortement rajoutée d’eau), du fil en trois (café, eau et eau-de-vie) et vin rouge.

A la fin du battage, le patron passait avec ses bouteilles : goutte douce (faite d’extraits Noirot, eau-de-vie et sucre) ou goutte forte (gnole).

Le souper était le repas du soir. Avant, les hommes se débarbouillaient avec un seau d’eau. On y servait toujours de la soupe, souvent la poule au pot mayonnaise, le rôti de porc avec des légumes, salade et la crème fouettée avec du gâteau sec.

Dans chaque ferme, on gardait le meilleur pour les jours de battage :

... volailles, légumes, fromages, salades. On avait son point d’orgueil à bien nourrir « ses hommes ». On ne voulait pas s’entendre dire que la table n’était pas abondante et la cave bien garnie. D’ailleurs, on achetait un barricot (60 litres) de vin pour la batterie et la demi-barrique (110 litres) y passait à certains battages.

Ce dernier repas n’était pas triste du tout, la fatigue même si elle était là ne se sentait pas. On évoquait des anecdotes survenues au cours de la journée ou à d’autres battages …. Cette année 1927, tellement « mouillée » qu’il avait fallu cinq paires de bœufs pour sortir la batteuse de la cour de la Crânée… cette année 1958 complètement « pourrie » où le blé germait sur les citeaux dans les champs…le pailler qu’il avait fallu « abutté » pour qu’il tienne debout …. Les filles qu’on avait poussées dans le tas de balles…le gamin qu’on avait fourré dans un sac ….

Plus on avançait dans les repas, plus les hommes étaient joyeux et gais ! Certains faisaient la dalle en soulevant la toile cirée et en y versant de l’eau ou du vin qu’un copain non averti récupérait dans sa culotte. Puis on chantait…on se « rendait » à minuit et on n’avait pas soif.

Dans les années 60, la vorace moissonneuse-batteuse-automotrice apparaît dans les champs ...

... et bat en une heure ce que trente bonshommes battaient en une matinée. Bien vite, disparaît la journée de battage qui rassemblait à la belle saison jeunes et vieux, grands et petits, costauds ou pas, amis ou fâchés, les cousins de Paris ou d’ailleurs…. C’était pourtant une merveilleuse journée…. La preuve, dès qu’on organise une journée de Battage à l’Ancienne, on voit arriver des dizaines de curieux bardés d’appareils photos ou de caméras, heureux de découvrir ou de se replonger dans ce qu’on appelle, non sans raison, le bon vieux temps.

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