Série : Les traces du passé
Ecolier des années 30
C’est un témoignage précis et vivant de...
...l’Ecole Communale de garçons en 1933 qu’apprécieront les élèves de cette époque, aujourd’hui octogénaires. Il intéressera également les écoliers des décennies qui suivirent puisque, ni l’école, ni la journée de classe n’ont vraiment changé avant les années 70.
Voici donc 5 extraits qui relatent :
l’arrivée dans la cour
la mise en rang
la salle de classe
la journée de l’écolier
l’heure de la sortie
Note
Ces extraits sur l’école ne représentent que 4 pages sur les 132 que compte le livre écrit par Jean NOIRBUSSON. En effet, on y trouve 65 textes, dont de nombreux poèmes, qui évoquent la vie quotidienne et les traditions de cette première moitié du siècle dernier.
L’ouvrage sert la mémoire collective de notre commune et de notre terroir de Gâtine.
Jean-Yves GALAIS (novembre 2006)
Cette porte pleine double, haute de six pieds (1pied = 0,33m) entre deux piles de pierre de taille encore plus élevées, formait l’entrée de la cour.
L’ouvrant brutalement, j’entrai et la refermai d’un coup de talon. Il ne restait plus que quelques minutes pour accrocher au portemanteau, au-dessus d’un banc scellé au mur, mon vêtement. Une étagère était fixée de la même manière au-dessus du banc. Un bonjour général aux copains, le temps d’aller au cabinet à la turque où le trou central aurait laissé passer un ballon de foot, fermé par des portes à mi-hauteur, à trente centimètres du sol et encore plus en haut. L’hygiène y était remarquable, pas un filet d’eau, nettoyé une fois par semaine par le cantonnier qui n’épargnait pas le grésil (désinfectant). Les murs était blanchis à la chaux une fois l’an. Sous les plaques de ciment, une fosse étanche recevait tous nos excréments et même quelques boîtes de conserves et des bouteilles vides.
Le maître frappait dans ses mains à la porte, dans sa blouse grise, sa baguette sous le bras. Notre maître était sévère et dur avec nous : « allez dépêchons ! » Le temps d’extraire mon fourbi de mon sac - on n’avait pas le droit d’emporter le sac en classe -, je prenais la file à ma place habituelle, les plus jeunes étant les premiers. Retirant sa baguette de coudrier, il nous faisait retourner les mains dessus, puis dessous après un : « un bonjour Monsieur » bien prononcé. Si on avait les pattes (mains) sales, un coup de baguette sur le bout des doigts rappelait d’aller se les laver à la cuvette cabossée au fond du préau, placée sur un évier de pierre de taille. Cette eau croupissait là depuis plusieurs jours. Une crème grise, résidu de crasse, s’était formée dessus ; à côté, il y avait un morceau de savon fendu et plein de sable à force d’être tombé maintes fois ; qu’importe, ça faisait râpe … De retour dans la classe, on s’entendait dire :« vous copierez cinquante fois, à la récréation : je dois avoir les mains propres ».
La classe était une grande pièce de...
...dix mètres sur huit, avec un plafond à cinq mètres du plancher, fait de grosses planches irrégulières. Au moment de la construction, il fallait un certain cubage par élève ; on ne risquait pas d’étouffer ! … au centre un poêle à charbon-bois, de marque Godin, semblait disproportionné par sa taille. Un long tuyau en sortait, fixé au plafond avec du fil de fer. C’était notre chauffage d’hiver, à condition d’être tous autour. De chaque côté, il y avait cinq tables de sapin peintes en noir, comprenant chacune cinq pupitres. Sous leur dessus en pente, pour former écritoire, se trouvaient nos casiers de rangement où l’on cherchait son fourbi à tâtons. A chaque coin des cases, un trou supportait un encrier aux abords plutôt violets. Une partie plate avait une gorge pour recevoir porte-plume, crayon, règle. A chaque fois que l’on remplissait ces encriers en porcelaine et que l’encre passait par-dessus, c’était une punition assurée. Dessous, une traverse de bois, à demi usée par le frottement de nos ganioches, servait à poser nos pieds. Un banc solidaire, fait de cinq barres de sapin, dont les éclats traversaient parfois la culotte, consolidait l’ensemble. Un bureau monté sur une estrade de deux marches, dominait les tables. Notre maître avait la vue sur tous, la baguette posée dessus.
Derrière, un long tableau noir était...
...fixé au mur, comme ceux qui était sur les deux faces de la pièce. Sur le côté, un tableau pivotait sur pied. On pouvait le déplacer, ce qui permettait sur une face d’écrire à la craie blanche un exercice et de l’autre de donner la correction dissimulée à nos yeux. Trois grandes baies vitrées, surmontées de vasistas s’entrouvrant avec un système à tringle, avec pour traverse un arrondi anse de bouclian (panier d’osier), nous donnaient la lumière à gauche. Au sens opposé, seuls deux vasistas de même modèle formaient une aération haute par courant d’air. Bien au-dessus de nos têtes, de grands rideaux de toile blanche partaient à vingt centimètres du plafond. Ils descendaient aux alèges (partie basses) des fenêtres d’une telle hauteur que l’on ne pouvait être distrait par la vue extérieure. Seul notre maître, sur la pointe des pieds, pouvait surveiller un camarade mis à la porte ou un petit malin qui avait demandé à satisfaire un besoin naturel. Ce dernier ne perdait rien en retour : interrogation musclée si le temps avait dépassé la limite convenable. On fermait ces rideaux l’été, à cause du soleil.
Au fond de la classe,...
était une armoire vitrée avec des vieux livres de lecture, histoire, géographie, arithmétique, plus ou moins hors d’usage. Ils ressortaient de temps en temps pour des manouches venus passer un jour à l’école, ce qui mettait notre maître de fort mauvaise humeur. Mais l’école était républicaine, publique, laïque et ouverte à tous !
L’armoire renfermait aussi des poids de laiton dans une cale en bois, une vieille balance à plateaux, dont le dessous avait été poinçonné par l’Inspection des poids et mesures ; sur une galette de plomb, une série de pots d’étain de diverses contenances ; de gros poids de fonte avec un anneau sur le dessus, de cinquante grammes à cinq kilos.
Dans une cavité aménagée,...
...étaient présentés des fragments de différentes roches, une collection d’essences de bois, un litre en bois. Des ustensiles de verres, pour faire des expériences, garnissaient toutes les étagères. Une longue barre de sapin, munie de crochets fixés au mur, supportait les cartes de France et des cinq continents, faites de carton fort et toilé. Les cartes de notre pays présentaient les fleuves et les rivières, le relief, les régions, les départements qu’il fallait se mettre dans le crâne avec préfectures et sous-préfectures, les routes et voies ferrées. Au verso de chacune était la muette, identique pour les interrogations. Le relief était marron, plus ou moins accentué par l’élévation par rapport au niveau de la mer, les océans et mers en bleu, les plaines en vert et en jaune, les routes en rouge, le chemin de fer en noir. Une carte représentait aussi les poids et mesures.
Entre les deux vasistas, sur un autre tableau latéral,...
...était l’emploi du temps de la semaine avec toutes les matières : morale, instruction civique, lecture, dictée, interrogations orales et écrites, calcul, grammaire, français, rédaction, histoire, géographie, dessin. L’autre côté du tableau servait à inscrire les devoirs et leçons du soir qu’il fallait recopier avant la sortie de quatre heures sur un cahier de brouillon qui nous accompagnait chez nous. Un globe terrestre poussiéreux était juché sur le dessus de l’armoire. Une pendule avec les heures en chiffres romains était au-dessus du bureau. Pour terminer le décor, deux ampoules électriques sous leur abat-jour de tôle émaillée blanche, étaient suspendues à trois mètres du sol.
A la rentrée de neuf heures,...
... il y avait l’appel. A chaque évocation de son nom, on répondait : « présent ! ». Notre maître cochait les absents et nous demandait si on savait les raisons de leur absence. Ensuite, on sortait le cahier du jour pour y inscrire la date, la phrase de morale ou d’instruction civique. Aujourd’hui c’était la politesse, sujet qui revenait souvent et à chaque fois qu’une vieille mamie pisse tout drêt (femme autoritaire), grenouille de bénitier en plus, faisait un rapport sur des grands qui ne l’avaient pas saluée au passage, alors qu’elle leur tournait le dos en maugréant entre les dents après cette école républicaine.
Cela fait, c’était calcul : après les quatre opérations, suivait un problème différent à chaque cours. Les plus durs étaient les fractions, les horaires et les distances parcourues. Pour moi, je savais qu’il me fallait une heure et quart pour parcourir matin et soir ma lieue.
Récréation à dix heures trente,...
... sauf pour ceux qui avaient des copies, des punitions ou n’avaient pas fini la mise au propre du calcul fait sur le brouillon ; un quart d’heures de jeux : aux gendarmes et aux voleurs, à chat perché, aux billes …
Rentrée : récitation, français, grammaire, conjugaison, la bête noire de ma petite cervelle.
Midi : sortie...
... pour les plus proches qui rentraient déjeuner. Nous, nous sortions nos provisions et mangions sur le banc du préau. Ouvert sur la face sud, il laissait entrer le soleil et les hirondelles qui avaient élu domicile le long de la poutre du faitage. Elles déposaient, dans leurs nids de terre maçonnés avec ardeur, les œufs de la prochaine couvée. Il fallait que leurs petits soient prêts à voler pour le grand voyage vers l’Afrique à la fin de septembre.
A une heure et demie,...
... reprise des cours : histoire ou géographie ; aujourd’hui, c’était révision d’histoire par écrit. Ceci a permis au maître de se défouler en tirant des oreilles ou en plaçant des coups de baguette sur le bout des doigts. Ce sujet n’était pas mon fort. Bien que très dur, le maître donnait des bons points, petits rectangles de toutes les couleurs. Cinq donnaient droit à une image d’animaux de la jungle, de poissons et de reptiles. Deux images permettaient d’inscrire votre nom au tableau d’honneur : il était violet avec des arabesques sur le tour en jaune brillant imitant l’or.
Je préférais la géographie, et surtout ...
... les sciences physiques et naturelles dont les leçons avaient lieu en général après les récréations de trois heures. La journée se terminait une fois par semaine par un dessin d’objet ou de nature morte. La copie, tous les soirs, des devoirs à emporter à faire chez soi, quelques couplets d’une chanson, et c’était la sortie du soir. Il ne fallait pas oublier les livres, cahier et plumier pour réviser, apprendre et copier les leçons du lendemain. S’il y avait une punition à copier, il ne fallait surtout pas la remettre à plus tard.
Après avoir frappé dans ses mains, notre maître nous laissait quitter notre pupitre, avec notre petit barda sous le bras que je fourrai rapidement dans le sac à dos suspendu depuis le matin au portemanteau. Enfilant les bandoulières sur les épaules, on allait prendre les rangs côté cour devant la porte double, franchie le matin avec un peu d’amertume. Notre maître ouvrait un battant et restait planté sur un côté pour entendre chacun de nous dire : « bonsoir Monsieur ». C’était la liberté retrouvée, même s’il ne nous quittait pas des yeux, tant qu’il pouvait nous voir. Seuls les grands du certif restaient à l’étude pour faire dictée, questions ou calcul pendant une heure, choisis dans un recueil d’examens. Le certif était dans trois semaines !